Dans cette série de vidéos sur ma chaîne youtube consacrée à la sclérose en plaques, j’ai décidé de vous parler de la fin de vie de ma mère atteinte par la maladie de Charcot ou SLA …
Maladie diagnostiquée en octobre 2015, décès de ma mère le 13 février 2016 … en soins palliatifs au CHU de Montpellier.
Témoigner sur une maladie neurodégénérative, telle que la SLA, est difficilement réalisable par une personne directement concernée, qui vit la maladie dans sa chair. Comment pouvoir écrire un livre sur son vécu lorsque l’on n’est plus capable de tenir un stylo ou bien de taper sur son clavier ?
Par contre, les proches aidants peuvent leur prêter main forte et participer eux-mêmes en partageant leur propre vécu. J’imagine que ma mère n’était pas la seule à avoir écris des tas de petits mots et que ma réaction de les avoir conservés, afin d’en faire quelque chose un jour, je ne suis pas l’unique aidante à l’avoir eu.
Ma mère souhaitait écrire ses ressentis et pensait même en avoir le devoir, pour les autres malades, afin de servir de témoignage. Mais ayant été rapidement dégommée par la maladie, c’est moi sa fille qui devenais la mieux placée pour prendre la relève, d’autant que j’étais déjà habituée à témoigner mais sur une autre sclérose, non mortelle celle-ci : la sclérose en plaques.
1/ Pourquoi ce livre ?
Pour mon frère aîné et moi, la période que nous venions de vivre nous paraissant être à la fois si intense et si irréelle que de partager notre témoignage nous était imposé ! D’une part pour faire mieux connaître cette maladie mais aussi et surtout pour aider les proches des malades, qui se sentent bien souvent perdus face à leurs questions, sans oublier les malades eux-mêmes, qui doivent trouver comment réagir face à l’annonce d’une maladie incurable et mortelle.
S’entendre dire qu’il n’y a rien à faire, que l’on a plus qu’à rentrer chez soi et attendre la fin, est insoutenable. On a envie d’agir, de lutter contre cette mort programmée.
Témoigner par écrit sur la fin de vie d’un être aimé est douloureux et implique de mettre sa pudeur de côté, surtout quand il est question de repenser à différents moments difficiles. Mais pour autant, je ressentais que j’en avais véritablement besoin, pour faire le deuil de ma mère mais aussi et surtout pour lui rendre un dernier hommage. C’était un peu comme si de laisser des écrits sur ce qu’avait été ma mère pour moi et sur ses derniers jours de vie, me permettait de laisser une trace de son passage sur terre.
Et puis, j’avais toujours voulu écrire la biographie de ma mère, qui me racontait toujours des tas d’anecdotes mais qui ne pouvait jamais prendre deux heures pour s’installer à une table afin de me raconter ce qu’avait été son enfance.
2/ Origines du titre du livre
Le titre « Game over, une vie foudroyée par la SLA » a été choisi après avoir hésité parmi beaucoup d’autres, dont voici les principaux.
- « Il ne manquait plus que SLA»
Un titre de livre pour évoquer la situation vécue dans ma famille : après mon père (grave accident survenu en 1991) et moi (la sclérose en plaques), c’était maintenant au tour de ma mère ? Mais elle ne pouvait pas tomber gravement malade, elle qui tenait depuis des années, le rôle d’aidante.
- « Survivre à la SLA, un combat perdu d’avance»
Finalement, il valait mieux se résigner le plus rapidement possible : ma mère ne pourrait pas être sauvée de cette maladie incurable.
- « Plus jamais SLA !»
C’était vouloir dire « plus jamais ça ! ». Quand on a vécu cette maladie, on ne peut souhaiter à personne une telle fin de vie.
- « L’enfer de la SLA»
Toute personne qui a vécu aux côtés d’une personne atteinte de la SLA ne peut que comprendre l’utilisation de ce terme « enfer » !
- « Fin de vie, Faim de vivre»
Je m’étais rapidement rendue compte que « plus ma mère partait », emportée par la maladie, et plus je ressentais en moi une faim de vivre.
Cela faisait depuis des années que je souhaitais reprendre du poids, mais le stress chronique lié à ma vie avec la sclérose en plaques, ajoutée à une gastroparésie, me faisait rester en sous poids.
Le départ programmé de ma mère vers « ce long voyage dont on ne revient jamais » me faisait prendre conscience de cette « faim de vivre » que je ressentais au fond de moi : la sensation que la vie est un bien précieux mais éphémère et qu’il ne faut pas vivre dans la retenue avec à l’esprit ce qu’on pourrait faire un jour, afin de ne rien regretter plus tard. La fin de vie dramatique de ma mère, puis sa mort, ont été pour moi comme un coup de poignard dans l’estomac et ont provoqué l’apparition de kilos émotionnels, réellement bienvenus (je suis passée de 39,7 à 45,6 kilos, en l’espace de 4 mois).
A sa fin de vie j’ai ressenti une faim de vivre qui m’a emportée et je me suis simplement laissée faire dans ce tourbillon. Du coup, moi qui faisait jusqu’à présent attention à ce que je mangeais de peur d’avoir mal à l’estomac, je me suis vue manger de bon appétit et les kilos sont venus avec l’appétit grandissant.
C’est une véritable leçon de vie que la fin de vie de ma mère m’a apporté
- « Game over, une vie dégommée par la SLA »
La définition du mot « dégommer », dans le dictionnaire Larousse est la suivante : « destituer quelqu’un de ses fonctions, faire tomber quelque chose, quelqu’un en l’atteignant d’un tir, d’un coup. ». Et comme synonymes, on peut retenir « faire tomber, renverser, renvoyer, destituer, limoger ».
« Game over » signifie partie terminée. C’est le message qui s’affiche dans un jeu vidéo lorsque la partie est terminée, soit parce que le joueur a perdu, soit parce que le jeu est fini.
Un tel titre traduisait parfaitement à la fois la rapidité de la maladie et l’intention de ma mère de « licencier » le personnel de santé qui ne lui plaisait pas, tel que l’infirmière qui la réveillait à 5h30 du matin, en allumant la lumière du plafond qui se situait juste au-dessus de son lit.
- « Game Over, une vie foudroyée par la SLA ! »
Le terme « foudroyer » peut avoir plusieurs sens :
- Frapper, en parlant de la foudre ou d’unedéchargeélectrique
- Tuersoudainement,brutalement
- Anéantirmoralement
3/ Quelques mots sur la maladie
La SLA est une maladie qui s’attaque aux neurones moteurs ou « motoneurones » (cellules nerveuses spécialisées dans la commande des mouvements).
En fonction de la manière dont débute la maladie, on distingue la forme bulbaire (atteinte de la parole et de la déglutition) et la forme spinale (la moelle épinière étant touchée, cela entraîne une faiblesse au niveau des membres).
A l’heure actuelle, on ne connaît pas la ou les causes, mais on estime que les facteurs environnementaux pourraient jouer un rôle dans le déclenchement de la maladie. Il est possible de retrouver plusieurs personnes de la même famille atteintes de la SLA (moins de 10% des cas de SLA sont de type héréditaire).
Pour ceux et celles qui sont intéressées pour en savoir plus sur la maladie, je vous invite à interroger votre neurologue ou bien à consulter des informations sur le site d’associations telles que l’ARSLA.
Sachant que je suis atteinte de la Sclérose En Plaques, l’une des questions qui avait été posée au neurologue était de savoir s’il existait un lien entre les deux pathologies. Non ! Ce sont deux maladies totalement différentes. La SLA n’est pas une maladie présentant une anomalie du système immunitaire.
Cette affirmation n’est pas partagée par tous. Pour le laboratoire BETA-INNOV, qui travaille sur une étude à laquelle j’ai participé, la SLA pourrait être, elle aussi, une maladie auto-immune, pour laquelle on retrouverait une anomalie du système immunitaire. A suivre …
4/ La SLA, une maladie trop mal connue
La maladie de Charcot reste une maladie mal connue par le grand public, sauf par ceux qui ont connu une personne atteinte de la SLA.
Ma mère avait peur de la maladie d’Alzheimer, parce qu’elle se souvenait de sa grand-mère qui en avait été atteinte. Elle me disait vouloir être informée du nombre de mois qui lui restaient à vivre, mais en réalité, je ne pense pas qu’elle y tenait tant que cela. Elle souhaitait pouvoir s’entretenir avec le neurologue par webcam, puisque se rendre au CHU était devenu quasiment impossible pour elle, sauf à utiliser une ambulance. Je dois vous avouer que je n’ai jamais osé proposer une webcam au neurologue. Au fil de la rédaction de ce livre, j’ai eu envie que ce ne soit pas qu’un témoignage de plus mais un ouvrage utile pour les malades comme pour les aidants.
Partie 1 – Ma mère, un « vilain petit canard » ?
Connaître le vécu de ma mère, son histoire, est important pour comprendre ses réactions face à la maladie.
Chapitre I – Ma mère, son enfance
Sa mère était professeur de mathématiques (ce qui était assez peu courant pour une femme à l’époque) et son père était médecin (chirurgien diabétologue à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris).
Elle avait une sœur, Michèle, son aînée de 4 ans.
L’enfance de ma mère n’a pas été facile, notamment parce qu’elle a eu à faire face, très jeune, au deuil de ses parents.
Elle a perdu son père à 5 ans puis sa mère à 14 ans.
Durant ses premières années de vie, elle et sa sœur ont été prises en charge par leur tante « Tatie » (sœur de sa mère), afin de les protéger de Paris en guerre et de permettre à leurs parents de travailler. Elles ont ainsi toutes les deux vécues dans une maison de campagne en Normandie, à Ormes, ce qui a permis à ma mère d’être mise en contact très tôt avec la nature et les animaux.
Après le décès de sa mère, elle a été placée tout de suite en pension par sa tante, ce qui a été vécue par ma mère comme un véritable abandon, d’autant que sa sœur Michèle n’avait pas subi le même sort.
Je sais très peu de choses sur mes grands parents maternels, tout simplement parce que ma mère a vécu avec eux très peu de temps. J’ai appris à les connaître via les anecdotes que ma mère nous racontait lors des repas pris en famille.
Le fait que son père l’ait déclarée le 11 février au lieu du 10, lui avait fait penser qu’elle n’était pas réellement désirée. Elle se voyait comme le « vilain petit canard » du conte pour enfants écrit par Hans Christian Andersen (repris en tant que court métrage d’animation par les studios Disney).
Comme anecdote assez frappante, ma mère nous avait raconté qu’enfant elle s’était enfoncée un clou rouillé dans le nez, afin de se faire remarquer ! Ceci avait eu pour conséquence des sinusites à répétition.
J’ai aussi le souvenir d’une histoire que notre mère nous racontait souvent, lorsqu’on lui posait des questions sur son père. Petite, elle avait était si impressionnée par ce grand monsieur en blouse blanche, qu’elle en avait fait pipi sur son beau tapis.
Sa vie en pension n’était pas très agréable pour elle, ayant été rapidement prise en grippe par l’institutrice, du fait que sa mère, professeur de mathématiques à ce même lycée, avait puni sa fille un jour.
Ma mère a grandi de manière assez solitaire. Elle adorait se promener dans les rues de Paris lors de ses escapades improvisées. Elle s’échappait du monde des adultes en se réfugiant dans les romans historiques qu’elle empruntait à la bibliothèque du lycée et qu’elle lisait tranquillement en se mettant sur le balcon de sa chambre (seul endroit où on ne risquait pas de la trouver !).
Elle adorait la nature et les animaux.
Pourtant bonne dessinatrice, elle a entrepris des études de physique chimie, sa tante ne souhaitant pas qu’elle entre aux Beaux-arts.
Chapitre II – Ma mère, sa famille et sa vie professionnelle
Lorsqu’elle et mon père se sont mariés, ils ont assez rapidement décidé d’avoir des enfants.
Ma mère était très contente d’avoir eu trois enfants et d’avoir consacré des années à nous élever.
Une fois mon plus jeune frère âgé de 15 ans, ma mère a décidé qu’il était temps pour elle de travailler. Elle souhaitait acquérir une certaine indépendance vis-à-vis de mon père et surtout elle souhaitait se sentir utile.
Les aléas de la vie ont fait qu’elle a suivi des études de comptabilité et trouvé un emploi dans un syndic de copropriété immobilière. Elle avait du mérite à se mettre à travailler à son âge, après avoir été mère au foyer durant plus de 15 ans. Et ce, d’autant plus que mon père ne l’incitait pas vraiment à devenir indépendante financièrement. Avec son métier d’ingénieur (en agro alimentaire), au CIRAD (près d’AGROPOLIS), il n’était pas nécessaire pour elle de travailler !
En août 1991, mon père – qui était un passionné de vol libre – a fait une grave chute en delta-plane, qui la rendue traumatisé crânien, avec pour conséquence d’être aphasique (difficultés d’élocution) et hémiplégique.
Ma mère, qui travaillait alors depuis plusieurs mois sur Antibes, a décidé de tout abandonner et de revenir sur Montpellier, pour s’occuper de lui à sa sortie du centre de rééducation.
Chapitre III – Ma mère, devenue le « pilier de la famille »
Depuis plusieurs années, ma mère avait pris le rôle de « pilier de la famille ».
Je l’aidais au quotidien pour s’occuper de mon père et j’étais, je pense, une véritable présence pour elle, tout autant qu’elle l’était aussi pour moi.
Ma mère ayant toujours été déçue par les médecins, elle ne leur accordait pas sa confiance. Il faut dire que ma propre histoire personnelle (des années d’errance médicale avant de savoir que j’étais atteinte de la sclérose en plaques) ajoutée à la sienne (le cancer de sa mère n’avait pas été diagnostiqué à temps par les médecins de l’époque), n’a pas permis de changer la donne !
Nous avions le projet d’un livre commun qui aurait pour titre « Ces docteurs à côté de la plaque » ! Elle devait s’occuper des illustrations du livre et moi de la partie rédactionnelle. Cela devra se faire sans elle.
Elle a été très présente à mes côtés durant toutes ces années de questionnement. Elle faisait partie des rares personnes à entendre ma douleur et à me prendre au sérieux quand je lui confiais la nature de mes troubles. La SEP a débuté par de la fatigue chronique et par des engourdissements qui ont été reconnus comme de la spasmophilie. Par la suite, quand j’ai sombré dans la dépression et la phobie sociale, ma mère m’a accueillie avec bienveillance et sans jugement.
Quand on m’a annoncé le diagnostic de la maladie, elle était à nouveau à mes côtés, tout comme moi je l’ai été pour elle lorsque le neurologue a rendu le diagnostic de la SLA.
Bref, nous avons toujours été très complices, elle et moi.
Si j’avais à parler de ma mère comme d’une amie, je dirais qu’elle était une personne sur qui on pouvait compter. Elle n’accordait pas sa confiance facilement mais quand s’engageait …
Elle avait toujours eu peur d’avoir un jour la maladie d’Alzheimer, pour avoir vu sa grand-mère en être atteinte, mais elle ne connaissait pas la SLA …
Etant une personne indépendante et solitaire, mais aussi très active, elle ne pouvait pas supporter de voir ses capacités s’amoindrir, jusqu’à devenir totalement dépendante d’autrui.
La SLA était véritablement LA maladie qui ne fallait surtout pas qu’elle déclare !
Quand j’ai compris que c’était bien la maladie de Charcot dont elle était atteinte, j’ai su que les mois à venir allaient être un enfer pour elle … et pour nous aussi !
Mais ce n’était pas comparable à ce qu’elle vivait dans sa tête « enfermée / coincée » dans ce nouveau corps qui lui était devenu étranger.
Avoir la SLA c’était pour elle devoir « vivre en direct sa propre mort ».
En vidéo
La suite demain …
Commentaire sur “L’enfer de la SLA (sclérose latérale amyotrophique ou maladie de Charcot)”